Tu en as peut-être déjà entendu parler, plusieurs individus jugés obèses selon leur IMC ont été exclus automatiquement de la formation de préposés aux bénéficiaires (PAB) offerte par le gouvernement en temps de pandémie.
J’ai vu l’information passer sur Facebook, puis à travers cet article du Devoir. Ça m’a scandalisée! Tous ceux qui avaient un IMC > 40kg/m² se seraient vu retirer automatiquement leur place dans le programme. Je n’avais pas le choix de me pencher sur la question plus en détails. De vous revenir avec une réponse complète basée sur la vraie science et des études récentes.
Stéréotypes discriminatoires
Il se peut que tu aies été aussi affecté par cette nouvelle et entraîné à te poser des questions au sujet de ton propre corps. Cela t’a peut-être semblé logique et approprié. “Après tout, les “gros” sont tous fainéants, lents et ils ne méritent pas d’être préposés aux bénéficiaires!”
Je dois dire que cette dernière phrase m’a fait grincer des dents simplement en l’écrivant.
Elle est basée sur une multitude de stéréotypes abominables qui circulent au sujet des gens vivant dans des corps plus gros. Si tu es moins à l’aise avec ce concept, voici une petite définition. Tu dois savoir qu’il s’agit de croyances infondées associées à un groupe de personnes. On base ces caractéristiques sur des préjugés sociaux. Sur la représentation de ces personnes dans la culture populaire qui ne sont pas représentatives de la réalité de chacun.
L’IMC est inapproprié
C’est quoi l’IMC?
Commençons par revoir la simple définition de l’IMC. L’indice de masse corporelle (IMC) est une valeur dérivée de la masse et de la taille d’une personne. On calcule l’IMC en divisant la masse corporelle par le carré de la taille de l’individu. Cette mesure est universellement exprimée en unités de kg/m².
Cette valeur ne prend pas en compte:
- La composition corporelle (ex: taille de la masse musculaire)
- La répartition du gras (viscéral/autour des organes ou périphérique/dans les membres et à l’extérieur de la paroi abdominale)
- La proportion de masse osseuse, en comparaison avec les autres composantes corporelles.
L’IMC n’est pas une mesure directe de la graisse corporelle. D’autres facteurs comprenant l’âge, le sexe, la génétique et l’origine ethnique peuvent influencer la validité de l’IMC. On ne doit donc pas utiliser ce calcul comme outil de diagnostic.
Une personne pourrait donc avoir une forte poitrine et/ou une masse musculaire plus élevée et être en bonne santé. Malgré ça, cette personne pourrait voir sa candidature refusée automatiquement à cause de la limite d’IMC imposée.
Corrélation n’égale pas causalité
Oui, selon certaines études, le virus peut affecter plus sérieusement les gens ayant un IMC plus élevé (mais pour en arriver là, ils doivent premièrement le contracter!) Replaçons quelques faits…
- Les études ne sont pas toutes réalisées chez les populations infectées par le coronavirus (résultats provenant parfois de projets de recherches sur le H1N1 ou des formes de grippe plus traditionnelles).
- Une étude a été réalisée en 2009 sur des patients atteints de la grippe H1N1 en Californie: 60% des personnes obèses souffraient également de maladies sous-jacentes, telles que les maladies pulmonaires chroniques, notamment l’asthme, les problèmes cardiaques ou le diabète. Le 40% restant avait une situation médicale non problématique.
- Les Centers for Disease Control and Prevention considèrent que les personnes ayant un IMC ≥ 40 kg / m2 sont à risque de complications de la grippe.
- Les résultats restent en général TRÈS préliminaires chez les populations réellement atteintes du Coronavirus.
- Si on se penche sur les études plus récentes réalisées un peu partout dans le monde, il est important de noter que les conditions socioéconomiques, les habitudes de vie, les comportements généraux et d’autres facteurs génétiques ne sont pas les mêmes que ceux de la population vivant au Québec. La comparaison avec la population québécoise est donc très difficile à faire.
- Plusieurs facteurs de risque sont omis: niveau d’activité physique, force/masse musculaire, présence de troubles de santé, etc.
- L’obésité semble ASSOCIÉE (corrélation n’égale pas causalité) à une diminution du volume de la réserve expiratoire, de la capacité fonctionnelle et de la conformité du système respiratoire.
Voici un exemple concret
Causalité
Lien qui unit la cause à l’effet. On peut ainsi dire que X CAUSE Y.
(ex: plus de crèmes glacées sont mangées lors des journées chaudes et ensoleillées)
Corrélation
Relation existant entre deux éléments qui varient simultanément. On peut donc dire que X SEMBLE ASSOCIÉ à Y, mais il est aussi possible qu’ils n’aient aucun lien ensemble.
(ex: manger de la crème glacée est associé avec un nombre plus élevé de feux de forêt)
Dans ce dernier exemple, les feux de forêt sont plutôt causés par la hausse de la température ambiante et du temps d’ensoleillement. Ceci nous donne aussi plus envie de manger de la crème glacée et ça explique la corrélation!
Quel est le lien avec l’IMC?
Le fait que l’IMC soit possiblement associé avec une plus grande prévalence de troubles de santé chroniques ne signifie pas du tout que toutes les personnes ayant un poids plus élevé seront automatiquement en moins bonne santé. J’irais même jusqu’à dire que certaines personnes ayant un IMC élevé sont vraiment plus en forme physiquement que d’autres personnes minces!
Ici, tout est une question de génétique et de mode de vie.
Risque de contracter le virus
Il est également important de faire le point sur une notion qui semble moins bien comprise en règle générale. Il est primordial de comprendre que les gens travaillant dans le domaine de la santé de poids plus élevé n’ont pas plus de chance d’attraper le virus que les autres.
Ici, tout est une question de précautions. Tous doivent porter le masque, les gants et les jaquettes en papier adéquatement. Le lavage des mains est aussi indispensable et doit être réalisé minutieusement. Les visières doivent être utilisées au besoin. Les surfaces doivent être désinfectées. Plusieurs mesures sont prises pour éviter la transmission du virus.
Tant et aussi longtemps qu’on est prudent, les risques d’attraper le virus seront réduits au maximum. C’est déjà une barrière qui peut protéger certaines personnes qui pourraient être plus fragiles si elles contractent la maladie.
Fragilité vs virus
À ce sujet, voici la liste des caractéristiques des individus qui augmentent leur risque de conséquences plus sévères dues virus:
- Plus âgés (> 65-70 ans, en moyenne)
- Usage du tabac (surtout si prolongé, depuis plusieurs années). De plus, le tabagisme nuit également au système immunitaire et à sa réactivité aux infections. Ceci rend les fumeurs plus vulnérables aux maladies infectieuses.
- Immunosupprimés (conditions particulières, maladies/cancers, traitements médicaux…)
- Troubles pulmonaires (ex: asthme sévère, maladie pulmonaire obstructive chronique, fibrose kystique, cancers…)
- Maladies inflammatoires aiguës
- Diabète non contrôlé
- Selon les recommandations de l’INSPQ, on ajouterait ceux qui présentent une obésité morbide (IMC > 40). Je ne suis par contre pas d’accord avec l’affirmation qui place toutes les personnes ayant un poids plus élevé dans le même panier.
Fragilité et IMC
Lorsque l’on parle d’une sévérité supérieure associée avec un poids plus élevé, il faut aussi comprendre qu’elle est associée à certains paramètres indirects tels que:
- Les gens ayant des maladies “telles que le diabète et l’hypertension, plus susceptibles de développer une maladie plus grave, nécessitant une hospitalisation et probablement une ventilation invasive.”
- L’apparition de caillot sanguin pouvant bloquer les vaisseaux sanguins comme cause aggravante de décès chez les gens atteints de la COVID-19. Ce risque est connu pour être plus élevé chez les patients obèses que dans la population générale. Toutefois, cela ne signifie pas que tous les gens de poids plus élevé en souffriront.
- Selon certains projets de recherche, il semblerait également que le tissu adipeux peut être un peu plus vulnérable lors d’une infection à la COVID-19. Les gens ayant un corps comprenant plus de gras pourraient, pour cette raison, avoir plus de risques d’être atteints par le virus de manière plus problématique.
- L’accessibilité à des équipements ajustés à des corps plus gros est présentement restreinte. Par exemple, certains équipements sont moins ajustés à leurs besoins. Je compte ici les lits et les chaises roulantes. De plus, l’accès à l’imagerie/radiographie peut être limité par le manque de machines capables d’accueillir ces patients. Finalement, le fait d’avoir un corps plus gros peut entraîner plus de difficulté lors de l’intubation. Il est donc primordial de s’assurer d’avoir un personnel soignant formé adéquatement pour répondre à leurs besoins particuliers.
Plusieurs personnes de poids plus faible peuvent être davantage à risque. Dans le lot, je compte principalement les gens qui sont inactifs physiquement, ainsi que ceux qui ont des problématiques de santé.
Compétences des candidats
À mes yeux, il est plus important de sélectionner des candidats qui ont un intérêt réel et une motivation pour le métier. Ceux-ci doivent avant tout réaliser que ce métier est demandant physiquement et mentalement. Les défis risquent d’être multiples une fois les pieds sur le terrain!
Dans le cadre des entrevues, on devrait poser des questions plus exhaustives. Je crois qu’il serait important de s’attarder à la capacité à tolérer la chaleur et à se glisser dans des endroits plus étroits et inconfortables. Les préposés sélectionnés devraient aussi être en mesure de lever des charges équivalentes à celles des patients. Ils devront les déplacer (seuls ou avec de l’aide) et arriver à prendre soin d’eux. Ici, il n’est pas question de poids, mais plutôt d’endurance et de force musculaire.
Finalement, il est également nécessaire de prioriser les gens qui ont envie d’apprendre et de faire une différence. Ceux qui mettront du coeur à la tâche pourront remplir leurs obligations de manière plus professionnelle et efficace.
Tous les candidats devraient atteindre ces objectifs pour pouvoir être sélectionnés, peu importe leur IMC ou leur poids corporel.
IMC et discrimination
Cette pandémie virale aura malheureusement une multitude de conséquences négatives sur notre population. Je t’invite à lire cette citation de Ryan et al. qui pourrait te faire réfléchir sur la question.
Voici l’impact que pourrait avoir le critère de sélection des PAB basé sur l’IMC: “Les personnes obèses qui s’auto-isolent et évitent les contacts sociaux sont déjà stigmatisées et connaissent déjà des taux de dépression plus élevés. L’isolement social est au cœur de la stigmatisation de l’obésité. Plus que jamais, nos prestataires de soins de santé doivent lutter contre les biais d’obésité.”
D’ailleurs, des critères d’embauche liés au poids risquent également d’entraîner plusieurs personnes à tenter des diètes abominables. Tout cela peut avoir un impact plus important sur la santé physique ET mentale de ces personnes. Au final, des dommages permanents peuvent être causés. Je pense, entre autres, à l’apparition de troubles alimentaires.
Si tu lis ces lignes, écoute ces paroles et fais-moi confiance. Reste loin des régimes et des détox qui te promettent des pertes de poids miraculeuses.
Plus d’infos sur la grossophobie et l’IMC
Si tu désires en savoir plus au sujet de l’IMC, je t’invite à lire mon article Grossophobie : obèses et victimes de préjugés | Être gros = un risque pour la santé? Mon article Doit-on nettoyer les aliments au retour de l’épicerie? pourrait également t’intéresser.
Si tu as vécu des situations problématiques en lien avec ton poids ou celui d’une personne que tu côtoies, n’hésite pas à dénoncer la situation. Tu peux aussi m’en parler en commentaire ci-dessous ou me contacter en privé!
Pour réellement apprendre à écouter ton corps, voici l’essai gratuit de ma formation “La Faim: Comment mieux comprendre son corps”.
C’est ensemble qu’on pourra réussir à préserver les droits de tous.
Références
- Obesity and its Implications for COVID-19 Mortality
- Are healthy smokers really healthy?
- OpenSAFELY: factors associated with COVID-19-related hospital death in the linked electronic health records of 17 million adult NHS patients.
- COVID-19 and obesity par Obesity Canada
- COVID-19 and obesity
- Risk of COVID-19 for patients with obesity
- COVID 19 and the Patient with Obesity – The Editors Speak Out
- Trop gros pour aller travailler en CHSLD?: entrevue avec Édith Bernier, consultante en prévention de la grossophobie
- Trop gros(se) pour travailler ? par Édith Bernier